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2006/2016 : Hommage à Christophe de PONFILLY

Écrivain, réalisateur, producteur, journaliste, grand reporter, co-fondateur (avec Antoine Roblot, Véronique Barbey, rejoints plus tard par Frédéric Laffont) de l’agence de presse Interscoop, Christophe de Ponfilly est l'auteur d'une quarantaine de films documentaires et de dix livres (documents et fictions). Personnalité hors-norme, révoltée vraie et écorchée, Christophe de Ponfilly (né le 5 janvier 1951) fut l’un des premiers, après l’invasion soviétique du 26 décembre 1979, à se rendre clandestinement en Afghanistan, où il se lia d’amitié avec le commandant Ahmad Shah Massoud (« Son allure nous frappe, son sourire nous séduit, la franchise de sa poignée de main nous réconforte… Son sourire illumine son visage. Ce jeune homme aux allures de Che Guevara ou de Bob Dylan, à la fois charismatique et attentif à autrui, a toujours réussi à se faire aimer. C’est sa plus grande force, le secret de son étonnante longévité »), qui devint par la suite le symbole de la résistance afghane contre les Soviétiques, puis plus tard contre les Talibans.

Allez savoir ce qui détermine l'engagement d'un être dans les méandres mystérieux de l'existence, interroge Christophe de Ponfilly (in Caméra au poing), avant de répondre : "Pour moi, l'Afghanistan exista d'abord au travers d'images et de mots sur papier : photographies majestueuses et envoûtantes de Roland et Sabrina Michaud, roman de Joseph Kessel, qui lâcha ses cavaliers orgueilleux à travers les steppes de mon imaginaire. L'aventure était là. Et puis la guerre. Cette saloperie naissant et renaissant chaque fois en des lieux différents de la planète, avec sa cohorte de folies et de misères, de lâchetés et d'héroïsmes, et cette urgence à vivre à laquelle elle contraint toujours les hommes. La guerre, sous cette perverse apparence d'aventure... fascinante et horrible réalité. Il y eut aussi, et surtout, la rencontre d'Afghans venus se réfugier en France, à Paris, racontant le bombardement de leurs villages, se plaignant de ne pas être aidés, de ne pas être entendus. C'était en 1981. A cette époque je n'étais pas journaliste et j'avais déjà trente ans. Je dirigeais la rédaction d'une collection encyclopédique illustré chez un éditeur qui avait à cœur son métier - Robert Laffont. Quelques années plus tôt, j'avais rangé une caméra super 8 avec laquelle je m'étais essayé au cinéma."

Son ami Jérôme Bony présente à Christophe de Ponfilly des réfugiés. Ils sont touchés par leurs témoignages au point de se mobiliser : « Et si nous nous servions de nos caméras super-8 pour témoigner de ce qui se passait dans les montagnes de cet Afghanistan en guerre ? L'idée était lancée... Nous avions peur, mais l'envie de rapporter des images de la vie des Afghans, prisonniers de ce drame, nous sembla soudain vitale. Nos caméras super-8 serviraient à explorer une tragédie qui se développait dans un univers majestueux dont nous avions rêvé. Elles deviendraient une arme contre la barbarie. »

Dès la naissance de ce soudain engagement, le but de Jérôme Bony et de Christophe de Ponfilly est clair : « Nous n'allions pas chercher à filmer le spectaculaire à tout prix, mais plutôt faire partager des instants de vie d'un village, d'une vallée, d'un petit groupe de personnes. Donner corps et âmes aux Afghans. »

C'est ainsi, dans ce contexte et avec cet état d'esprit, que Christophe de Ponfilly entre sans le savoir dans la légende; qu'il va à la rencontre, plus que d'un village, de son grand homme (Ahmad Shah Massoud), d'un pays, d'habitants en guerre (« Je garde en moi comme un trésor, l'image indélébile de la beauté du pays, la poésie du peuple afghan que j'ai appris à respecter, puis à aimer ») et d'une culture qui vont bouleverser sa vie (on n'approche pas impunément un drame; on ne s'implique pas à la légère dans les histoires des autres: la vie prend un autre sens, se gonfle d'une nouvelle importance); qui vont lui donner sens et révéler un réalisateur hors-pair, tenace, épris de la liberté la plus totale: « J'appris la gravité, le respect de la justesse, l'humilité du témoignage, la responsabilité de celui qui filme vis-à-vis de celui qui est filmé, l'importance de ne pas schématiser. J'ai fait l'apprentissage du métier sur le terrain, et me suis intensément impliqué dans le quotidien de ceux qui y vivaient, résistaient, souffraient... Mais aussi riaient. Pour moi, il ne s'agissait pas de rapporter des informations à ajouter à celles qui existaient déjà, mais de réaliser des films sensibles, ayant la même force que la fiction - avec cette différence importante : ils allaient témoigner des réalités du monde. »

C'est donc en « amateur ignorant » et grâce à des contacts noués à Paris que Christophe de Ponfilly se rend en Afghanistan. Pour accéder, clandestinement, au pays, pendant la guerre contre l’Occupation soviétique, il faut alors marcher pendant un mois dans les montagnes, parcourir un millier de kilomètres. Il s'agit d'un périple extrêmement difficile et dangereux. Le terrain est miné, il peut y avoir des bombardements, des attaques. On arrive exténué dans le Panjshir et déjà, à cette époque, « Massoud était extrêmement reconnaissant du fait que nous venions de loin prendre ces risques pour témoigner de ce qui se passait dans son pays. Ensuite, au fil des années - puisque j'ai commencé à filmer en 1981, j'y suis retourné en 1984, puis en 1987, etc. -, le fait de revenir a fait qu'il y avait un lien entre nous, un lien fait de respect, d'amitié. En plus, il avait beaucoup aimé les films que je lui avais envoyés - j'avais pour habitude de montrer aux personnes que j'avais filmées ce que j'avais fait comme travail. À tel point même que j'avais donné à Massoud une copie du film que nous avions fait en 1990 avec Frédéric Laffont, suite au retrait des troupes soviétiques, dans lequel nous montrions les traces que cette guerre avait laissées pour les Biélorusses et les Afghans - le film s'appelle Poussière de guerre, et le tournage avait duré un an. Et quand il a pris Kaboul en 1992, il a aussitôt donné aux hommes qui s'étaient emparés de la télévision le film, qui a donc été diffusé dès les premières heures de la prise de Kaboul par les Moudjahidins. »

De son premier voyage clandestin (avec Jérôme Bony), en juillet 1981, il tira Une vallée contre un empire (Prix international ONDAS 1983) ; le premier d’une longue série de films remarquables de véracité : En 1984, revenu clandestinement dans la vallée du Panjshir dont les Soviétiques avaient détruit tous les villages, il réalise Les combattants de l’insolence (Prix Albert Londres Audiovisuel 1985). Puis deux films sur des prisonniers soviétiques : Les damnés de l'URSS et Soldats perdus. En 1987, il signe Massoud, portrait d’un chef afghan. Après le retrait des troupes soviétiques d'Afghanistan, Christophe de Ponfilly réalise, avec Frédéric Laffont, un film de deux heures sur les traces que cette guerre a laissées sur les Afghans et les Soviétiques : Poussières de guerre, le chant des armes et le temps des larmes. En 1993, Christophe de Ponfilly revient filmer la guerre, cette fois dans la capitale afghane. Il réalise un carnet de voyage triste face à une guerre devenue honteuse : Kaboul au bout du monde. En 1997, choisissant l'aventure du documentaire subjectif, il réalise Massoud, l'Afghan, son film phare, puis en 2001 : Vies clandestines, Nos années afghanes. Christophe de Ponfilly a, pour ce film, choisi un angle inédit : celui de l'engagement de milliers de Français qui, dans les années 80, ont traversé, à pied ou à cheval, les frontières du pays pour aider des populations oubliées de la communauté internationale. Journalistes, médecins, photographes ou postétudiants en quête d'un destin, tous ont pris, en pleine guerre froide, le risque de la clandestinité. Ni hagiographique ni moralisateur, ce film donne la parole à une dizaine d'entre eux ; des personnalités souvent remarquables. Ponfilly ajoute : « Chacun y allait pour avoir le grand frisson. Ce qui nous intéressait, c'était avant tout la gestion de notre peur. » Vies clandestines complète et achève, en quelque sorte, l'œuvre afghane de Christophe de Ponfilly sur la résistance.

Mais qu’en était-il de l’Afghanistan pour Christophe de Ponfilly, au début de ce nouveau millénaire : « C'est un pays détruit, qui a connu vingt ans de guerre. De plus, la nation afghane n'a jamais existé. Vingt ans de guerre dans un pays qui n'existait pas encore, ça donne des gens qui n'ont connu que la guerre. Le plus grand drame de l'Afghanistan est que très peu d'Afghans sont prêts à construire un avenir de paix. En fait très peu de gens sont formés pour assurer la création d'un état. Mais le peuple afghan n'a jamais cessé de subir des ingérences extérieures. Les premiers, les Soviétiques, ont détruit cette société afghane en mettant de l'huile sur le feu de l'Islam et du coup, ils ont contribué à la naissance des partis politiques islamiques, alors que la religion n'était pas du tout politisée en Afghanistan. Après cela, il y a eu des luttes pour le pouvoir entre les différentes factions qui avaient émergé de la guerre contre les Soviétiques, auxquelles il faut ajouter le jeu nocif des Américains. Au début, ils ont choisi très cyniquement de soutenir les pires islamistes intégristes parce qu'ils se sont dit que ces mouvements seraient les plus redoutables face aux « ennemis communistes ». En réalité, ils ont uniquement soutenu Hekmatyar (le Premier Ministre de l'époque) parce qu'il parlait anglais et qu'il était un bon interlocuteur. » Pour Christophe de Ponfilly, il y a alors deux fins possibles pour l’Afghanistan : « soit Massoud va se faire tuer, puis les talibans s'installeront en Afghanistan, soit Massoud arrivera à convaincre, à condition qu'il vienne en Occident pour expliquer son combat. »

Peu de temps après arriva ce qui fut, tant de fois redouté (« J'ai toujours été surpris qu'il n'ait pas été assassiné, il n'est pratiquement pas gardé ») : le 9 septembre 2001, le commandant Massoud est victime d'un attentat suicide commis par deux kamikazes d'origine tunisienne résidant en Belgique et venus suivre un entrainement dans un camp d'Al-Quaida. Massoud avait à plusieurs reprises alertés l'Occident sur les dangers d'une action terroriste orchestrée par les talibans. Il n'avait pas été entendu : "Si les démocraties occidentales ne se pressent pas pour nous aider, nos ennemis, dont Ben Laden, vous prendront aussi pour cible", déclarait-il en juin 2000. Le 11 septembre, les États-Unis découvraient que leur invulnérabilité n'était qu'un leurre. Un mois plus tard, les talibans étaient chassés du pouvoir en Afghanistan, mais nullement anéantis. La plupart trouvant refuge chez leurs alliés pakistanais.

Actualité oblige, Christophe de Ponfilly connut un succès qui eût pour lui un goût amer. Sorti de l’anonymat pour le grand public, après les attentats de septembre 2001, ses livres et ses films, devinrent des incontournables, des références sur l’histoire contemporaine afghane ; mais, la traversée du désert avait été longue, trop longue. Christophe n'oubliait pas que lors de sa sortie, en 1997, son film Massoud, l’Afghan : "connut ce que certains appellent un succès d’estime. Le livre qui en prolongea l’écho n’a pas touché avant les événements de septembre 2001. Cinq mille exemplaires vendus alors. Cent mille après septembre 2001. Un succès au goût amer. » Quant à « l’objectivité journalistique » ; Christophe de Ponfilly déclarait : « Je n'y crois pas du tout. L'idée d'objectivité est absurde, qui plus est dans l'audiovisuel. C'est la notion d'honnêteté qu'il faut assurer, il faudrait presque que les journalistes soient assermentés, qu'ils s'engagent à ne pas truquer, à ne pas chercher à construire un spectacle. Beaucoup de journalistes sont des gens honnêtes, des gens bien, mais ils sont malades de ce problème de vitesse. Le journal télévisé est un format truffé d'erreurs. C'est l'hymne de l'aveuglement total, de l'inutile et de l'absurdité de notre monde. Je ne sais plus à quoi cela peut servir, sinon à faire un show du spectacle du monde, une grande messe dans laquelle la seule personne à tirer son épingle du jeu est le présentateur, la vedette qui gagne beaucoup d'argent. "

Oui, ce succès tardif est bien amer pour Christophe de Ponfilly, démoralisé par l’assassinat de Massoud, par l’attitude des puissances occidentales, leur manque de soutien à la résistance afghane ; par l’arrivée de drames contre lesquels il n’avait cessé de mettre en garde... Échec cuisant et désespérant : "Ce monde m'écœure et me rend triste, comme m'est douloureux le chagrin d'avoir perdu Massoud, cet ami que je n'oublierai jamais."

Son travail, ses projets, sa vie, la naissance de Lola ; tout allait, semble-t-il pour le mieux ; mais quelque chose était irrémédiablement brisé en lui. À le voir, il était attentif, humble. Il parlait avec une voix douce, posée. Il écoutait. Il souriait. Sa curiosité était grande et sur bien des sujets, y compris naturellement la poésie ; mais on remarquait aussi ses absences, son regard qui semblait soudain planer dans le vide d'une vallée (le Panjshir ?). Rien d'aigri. Dans sa vie comme dans son œuvre, il tirait toujours tout, non pas vers le bas, la noirceur, la laideur, il détestait cela ; mais vers le haut, la beauté, la joie, la liberté : "Pour récompenser ma peine, les images qui s'offraient à mon regard étaient des présents pour poètes." Sa disparition tragique, à l’âge de 55 ans, ce 16 mai 2006, nous bouleverse. Christophe est retrouvé en forêt de Rambouillet. Toutes nos pensées vont vers sa famille et particulièrement ses enfants, la petite Lola, Rim, son épouse, et bien sûr, notre chère Elodia Turki, sa belle-mère. Le numéro 23/24 de notre revue Les Hommes sans Épaules, livraison de combat, fut dédiée à la mémoire de notre ami Christophe.

À sa mort, Christophe venait de réaliser son premier film de fiction pour le cinéma, qui s'est avéré être son œuvre testamentaire : L’Étoile du soldat ; il s'agit de son dernier Combat, qui a été tourné en Afghanistan. Le film est aussi poignant que l’est le roman éponyme (également décliné en BD, dessin de René Follet, chez Casterman) dont il est tiré, et qui a paru, en 2006. L'Étoile du soldat :11 septembre 2001. Du haut des montagnes afghanes, Vergos, journaliste français, apprend l’attaque des tours du World Trade Center par les terroristes d’Al-Quaida. Il se souvient… 1984. Nikolaï, jeune musicien soviétique de 25 ans, débarque en Afghanistan comme des milliers d'autres conscrits pour livrer une guerre qui n'est pas la sienne. La peur au ventre à chaque instant, il se retrouve plongé dans un monde de violence et de mort. Un jour, lors d'une opération commandée, il est capturé par des Moudjahidins du commandant Massoud qui l'emmènent au cœur des montagnes où se terrent les résistants afghans et Vergos, venu clandestinement en Afghanistan. Tandis que certains veulent sa mort, d'autres se prennent de compassion pour lui. Peu à peu, des liens d'amitié et de complicité se nouent entre le soldat soviétique, le journaliste français, et les Moudjahidins… Christophe de Ponfilly relate une histoire vraie ("une plaie douloureuse"). Il a réellement rencontré son personnage dans les montagnes du Panjshir, alors qu'il tentait d'alerter l'opinion sur l'erreur des Américains à alimenter le terrorisme islamiste au lieu de miser sur des opposants politiques tel que Massoud. Nikolaï fut finalement libéré par "ses amis afghans", avant de se faire assassiner par des Pakistanais lors d'une tentative d'évasion d'une prison (au Pakistan).
Réalisateur, Christophe de Ponfilly a un ton à part, un regard très personnel sur ce qu’il filme. Son credo est tôt défini, dès 1981 : filmer des êtres humains avec respect, sans rechercher le spectaculaire racoleur et mensonger. Témoigner de fragments de vie sans manichéisme, en mêlant l'émotion à l'histoire. Filmer comme des cinéastes : « On nous prenait déjà pour des idéalistes. Plus tard, on nous verra aussi comme des emmerdeurs. » Il en va de même avec ce qu’il écrit. Christophe de Ponfilly se situe en marge du déferlement médiatique et de ses orgies d’images et d’infos contradictoires ; il prend « le temps d’approcher, de connaître, de comprendre ». Outre, Poussière afghane ou Lettre ouverte à Joseph Kessel sur l'Afghanistan, livres phares, nous lui devons surtout Massoud, l’Afghan; livre qui rapporte l'histoire et la chronologie de son film, son chef-d’œuvre, qui commence par ces mots : « Afghanistan. Pays lointain, en guerre, dont tout le monde se fout. Ou presque... » Ce livre (comme le film) a contribué à diffuser la voix de la résistance afghane, à travers celle du commandant Massoud, sur l’ensemble du planisphère. Mais la guerre était pour lui extrêmement difficile à filmer : « la meilleure façon de le faire et encore de montrer les dégâts qu'elle produit. Je pense que ces dégâts sont évidents dans Massoud, l'Afghan. Mais la guerre - le Big Bang, comme disent les Américains lorsqu'ils cherchent des images spectaculaires - est quelque chose de révoltant. Ce n'est pas un spectacle. »

Christophe de Ponfilly dénonçait la violence, toutes les violences (« Personnellement, je pense qu’une caméra peut être une arme bien plus efficace qu’une kalachnikov. Et j’ai trop horreur des armes et de ce qu’elles font subir aux hommes pour avoir la tentation de vouloir en saisir une »), y compris celles que reçoit le spectateur d'aujourd'hui : « des chocs forts perturbent certainement son comportement. Il y a une folie dans notre monde d'aujourd'hui, le média télévision se nourrit principalement de spectaculaire, ce que les terroristes ont très bien compris. Ils ont frappé en étant sûrs de la présence de la caméra, et ont créé une image de science-fiction. Ils ont mélangé la réalité et la virtualité d'une manière incroyable. Lorsque la télé, avide de spectacle, a fait monter la sauce et le suspense sur l'éventualité d'une riposte, en nous montrant des images de commando, c'était totalement grotesque puisque les Afghans sont probablement plus aguerris que la plupart des commandos occidentaux, étant donné l'expérience qu'ils ont de la guerre et la connaissance qu'ils ont du terrain. J'ai trouvé cela extrêmement malsain, et je pense que l'on est piégé par cela. Le piège se retourne d'ailleurs complètement contre nous, on le voit, avec les images du vidéo-clip de Ben Laden, diffusé à moult endroits, sur toutes les chaînes de télévision. Il faut à chaque fois attendre trois ou quatre jours pour que les gens réalisent qu'il y a un contre-effet et que c'est peut-être faire le jeu de l'ennemi. »

Sans écrire de poésie (il en lisait), Christophe était un poète de sang, un combattant exceptionnel, un révolté de tous les instants, un humaniste, un homme exigeant, fin, intelligent, attachant, brillant, excessif, certes, mais d’une qualité rare et d'une liberté de parole inédite. La révolte contre l'injustice est au cœur de sa vie comme de son œuvre ; l'une étant insérable de l'autre.

Christophe de Ponfilly ne supportait pas l’injustice. La révolte contre l’injustice revient à s’occuper de la possibilité pour tous d’accéder au bonheur. Pour les autres comme pour soi. Si le bonheur est un état de satisfaction complète, la question est de savoir en quoi l’acceptation de l’injustice qui frappe les autres peut gâcher le bonheur d’un homme, comment cet homme peut en être sensiblement affecté. En quoi un bonheur non partagé n’est-il pas un bonheur ? En toute rigueur, celui qui ne chercherait que son propre bonheur peut-il accepter d’être affecté par l’injustice qui règne dans le monde ? Ne serait-ce pas s’interdire toute possibilité de bonheur ? La révolte contre l’injustice ne s’arrête jamais, de même, la recherche du bonheur. Christophe en est mort et il nous manque. L'ombre qui le rongeait souterrainement a pris le pas sur la lumière.

Christophe DAUPHIN

À lire: Le Clandestin (Robert Laffont, 1985), Les Gobeurs de lunes (Robert Laffont, 1987), Massoud, l’Afghan (Éditions du Félin, 1998), Poussières de guerre (Robert Laffont, 2001), Vies clandestines (Florent Massot, 2001), Lettre ouverte à Joseph Kessel sur l'Afghanistan, suivi de Une envie de hurler, (Bibliophane-Daniel Radford, 2002), Scoops (Éditions du Félin, 2002), Femme d'Asie Centrale (Mille et une nuits, 2004), L'Étoile du soldat (Éditions Albin Michel, 2006), Caméra au poing (Arthaud, 2009).

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